lundi 22 octobre 2012

Santé publique; OGM: comment une étude bidonnée par Monsanto a été validée par les autorités sanitaires

Les critiques violentes de l'étude de Gilles-Eric Séralini sur un OGM de Monsanto viennent de trouver leur point d'orgue, dans le rejet de cette étude par les agences de santé.

Par Sophie CHAPELLE (BASTAMAG, 18 octobre 2012)

La  recherche scientifique menée par Gilles-Eric Séralini sur un OGM  de Monsanto a été violemment critiquée dans sa méthodologie.  Mais qu’en est-il des tests menés par les firmes elles-mêmes ?  Un rapport montre les dissimulations et extrapolations bien peu  scientifiques qui accompagnent l’évaluation du seul OGM autorisé  à la culture en Europe, le Mon810. Des extrapolations reprises à  leur compte sans vérification par les autorités sanitaires  européennes.

Avant  d’être commercialisés, les OGM sont-ils vraiment évalués avec la  plus grande rigueur scientifique, comme leurs promoteurs le  prétendent ? Toute entreprise sollicitant une autorisation de  mise sur le marché de son OGM doit produire une évaluation  censée démontrée que sa semence transgénique est inoffensive.  Ces analyses sont réalisées par des laboratoires que les  entreprises de biotechnologie rémunèrent directement.
 
Les  autorités sanitaires qui étudient ensuite le dossier, comme l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA [http://www.bastamag.net/article2712.html#nb1), ne disposent ni de temps ni de  crédits pour pratiquer leurs propres analyses. Elles se  contentent donc de lire le dossier de l’entreprise et la  littérature scientifique sur le sujet. D’un côté, la firme est  juge et partie. De l’autre, des instances d’évaluation placent  dans cette firme une confiance quasi absolue.
 
Que  doivent évaluer les experts ? Que l’OGM ne diffère pas d’une  semence non transgénique dont l’utilisation commerciale a déjà  été jugée sans risque. La firme va donc chercher à démontrer  « l’équivalence en substance » : comparer les composants d’une  plante transgénique (nutriments, protéines, glucides...) avec  des plantes conventionnelles. Si les écarts enregistrés  correspondent à des écarts connus entre variétés de la même  espèce, la plante transgénique est considérée comme étant  équivalente en substance, donc a priori inoffensive.  L’évaluation se fait en deux étapes : une analyse comparative  pour identifier des différences avec la plante non modifiée  génétiquement, et une évaluation des impacts nutritionnels,  sanitaires et environnementaux de ces différences.
 
Le  Mon810 « aussi  sûr » qu’un grain de maïs conventionnel ?

Concernant  son maïs Mon810, Monsanto a affirmé en 2007 : « Comme il a été  démontré dans ce dossier de renouvellement d’autorisation,  Mon810 est équivalent à un maïs conventionnel à l’exception de  sa protection contre certains papillons parasites ». Son  OGM serait donc comparable à un banal grain de maïs « naturel ».  Une affirmation « d’équivalence » que les autorités sanitaires  européennes reprennent à leur compte : « Le maïs Mon810 est  aussi sûr que ses équivalents conventionnels au regard de ses  effets potentiels  »,  conclut l’EFSA en 2009. Une conclusion pour le moins hâtive...
 
Problème :  sur quels éléments démontrés scientifiquement repose cette  affirmation ? Lorsque l’on teste la toxicité d’un produit, on  extrait deux échantillons de rats d’une certaine lignée, et on  regarde s’il est statistiquement raisonnable de penser que  l’échantillon « essai » a été modifié par l’OGM par rapport à  l’échantillon « témoin ». « Si  quelque chose est vu (ici, une différence), cela existe. Si ce  n’est pas vu, cela ne veut pas dire que ça n’existe pas, mais  juste que, dans les conditions de l’expérience, on ne l’a pas  vu », explique le biologiste Frédéric Jacquemart,  président d’Inf’Ogm, une veille citoyenne d’information sur les  OGM. Une absence de preuve n’est pas une preuve d’absence.
 
Des  extrapolations pas très scientifiques

Affirmer  que « le maïs  Mon810 est aussi sûr que ses équivalents conventionnels »  est donc une extrapolation sans preuves irréfutables. D’autant  qu’aucun test d’équivalence n’a en fait été réalisé ! Un tel  test nécessite des protocoles assez lourds à mettre en œuvre,  avec un nombre de cobayes élevés, pour prouver l’innocuité du  produit. Si le test ne s’appuie que sur un faible nombre de  cobayes (des rats en l’occurrence), il s’agit en fait d’un test  « de différence », visant à établir que sur tel ou tel aspect,  l’OGM ne semble pas produire des effets différents qu’une banale  graine. Mais cela ne prouve pas l’innocuité de l’OGM.
 
Alors  que le Mon810 est aujourd’hui cultivé en Europe, l’Agence  nationale de sécurité sanitaire (Anses) a reconnu que 80 % des  effets constatés lors des tests n’étaient pas significatifs !  Affirmer que le Mon810 est« aussi sûr » que les autres maïs est  donc, au mieux, une extrapolation sans fondements, au pire,  mensonger. Aucun effet toxique ne peut en fait être exclu. Cette  extrapolation des résultats, qui rend un OGM équivalent à une  autre semence, est sévèrement jugée par le biologiste Frédéric  Jacquemart : « Lorsque  deux populations sont comparées, les tests statistiques ne  peuvent faire qu’une chose : réfuter, au risque statistique  choisi près, une hypothèse ». On peut donc réfuter un  risque précis, mais en aucun cas affirmer une absence totale de  risques.
 
Dissimulations  et conclusions hâtives

Dans  son rapport intitulé « Expertise des OGM,  l’évaluation tourne le dos à la science », l’association  Inf’Ogm a ainsi pris le parti d’éplucher le dossier du Mon810.  L’association dénonce une série considérable de dissimulations  scientifiques dans l’étude de ce maïs insecticide. A commencer  par l’entorse à une règle de base en méthodologie scientifique :  trier les données pour les présenter de manière « avantageuse »  plutôt que de les soumettre telles quelles.
 
Dans  le dossier de sa demande d’autorisation du Mon810, Monsanto  fournit toute une littérature scientifique analysant différentes  variétés et cultures de maïs (dont des analyses souvent  anciennes, remontant avant 1982, dont la méthodologie est  aujourd’hui dépassée). Si Monsanto ne constate pas de différence  significative avec son OGM cultivé aujourd’hui, la firme estime  que tout va bien. En revanche, lorsque des différences sont  observées, elles sont présentées comme « non biologiquement  significatives » ou « sans valeur  informative » ! La comparaison n’est utilisée que  lorsqu’elle sert les intérêts de Monsanto et permet de conclure  à une composition similaire entre un maïs OGM et une plante  témoin non génétiquement modifiée.
 
Quand  « similaire » devient « identique »
« En  se basant sur ces données, nous avons conclu que les grains du  Mon810 et ceux du contrôle sont de composition similaires et  sont représentatifs des grains de maïs actuellement sur le  marché », assure la firme. Par dérive sémantique « similaire » devient ensuite « de composition  équivalente », puis... « identique » !  Finalement, « on  peut conclure que le Mon810 est aussi sain et nutritif que le  maïs conventionnel »... Une conclusion qui excède de toute  évidence la portée des données. « Si l’on ne prend en  compte que les données qui soutiennent la conclusion souhaitée  et qu’on néglige les autres, on aboutira fatalement à ce que  l’on a envie de montrer », rappelle Inf’OGM. Si cette  pratique est scientifiquement irrecevable, Monsanto semble  particulièrement adepte de cet exercice.
 
« Tout  cela est validé par l’[EFSA] sans que cela ne fasse tousser  personne », déplore Frédéric Jacquemart. Malgré des  extrapolations non étayées, une faiblesse des tests, un tri des  données, les conclusions de Monsanto quant à l’innocuité de son  maïs Mon810 ont été reprises par des experts qualifiés d’agences  officielles, censées être « neutres », comme l’Agence européenne  de sécurité des aliments. Les recommandations de cette Agence  concernant les méthodes statistiques à utiliser sont pourtant  très claires, et parfaitement contradictoires avec les pratiques  des firmes dépositaires d’un dossier de demande d’autorisation  d’OGM. Le panel OGM de l’EFSA indique notamment que les deux  tests, de différence et d’équivalence, doivent être faits. Elle  met également en garde contre l’usage de données prises hors de  l’expérience elle-même.
 
Conflits  d’intérêts

Comment  expliquer le laxisme de l’EFSA sur le dossier Mon810 ? Frédéric  Jacquemart y voit une « parfaite  mauvaise foi ». Cette Agence, censée être un organisme de  contrôle indépendant, a été décriée ces derniers mois après la  révélation de plusieurs conflits d’intérêt au sein de la  structure. Un rapport de la Cour des Comptes publié le 11  octobre épingle l’EFSA pour sa mauvaise gestion des conflits  d’intérêts.
 
Deux  ans plus tôt, l’Observatoire européen des entreprises (CEO)  avait déjà apporté les preuves de liens entre plusieurs membres  du conseil d’administration de l’EFSA et l’Institut  international des sciences de la vie (ILSI, International Life  Science Institute), financé par l’industrie agro-alimentaire (lire un précédent article). La présidente de l’EFSA  avait été contrainte de démissionner de l’ILSI où elle siégeait  comme membre du Conseil des Directeurs.
 
Cette  affaire a révélé la manière dont l’industrie des biotechnologies  est parvenue à influencer les décisions de l’agence européenne  en plaçant dans ses instances décisionnelles des personnalités  scientifiques qui reprennent ses analyses et partagent ses  objectifs. C’est pourtant sur la base des avis de l’EFSA que la  Commission européenne prend les décisions d’autoriser ou non les  OGM...
 
Expertises :  deux poids, deux mesures

Les  autres dossiers de demande d’autorisation d’OGM ne vaudraient en  général pas mieux. Deux dossiers en cours d’instruction (la  pomme de terre Modena et le maïs MIR604) [2 <http://www.bastamag.net/article2712.html#nb2> ] en vue d’autorisations dans l’UE ont fait  l’objet d’avis plus que sévères par le Haut Commissariat aux  Biotechnologies, souligne Inf’Ogm. Au même moment, l’étude du  Professeur Gilles-Eric Séralini sur la toxicité du maïs  transgénique NK603 et du Round up était jugée non valable  scientifiquement par l’EFSA.
 
« Alors  que l’EFSA vient de réagir dans un délai ridiculement court à  la dernière étude de G.-E. Séralini, en prétendant qu’elle  n’avait aucune portée, cette agence ferait mieux de faire son  travail sérieusement et de s’assurer que les dossiers de  demande d’autorisation d’OGM sont réalisés avec la meilleure  rigueur scientifique possible », juge François  Veillerette, porte-parole de Générations Futures« L’EFSA  n’est manifestement qu’une des instances qui fonctionnent  comme des chambres d’enregistrement destinées à rassurer le  public, au sujet des OGM, mais non à en assurer la sécurité »,  conclut le rapport d’Inf’Ogm.
 
Les  critiques formulées à l’encontre du protocole de Gilles-Eric  Séralini pourraient concerner les protocoles de l’ensemble des  dossiers déposés par les entreprises de biotechnologie pour  obtenir les autorisations commerciales de leurs plantes  génétiquement modifiées (PGM). Inf’OGM avait remis en 2011 au  ministère de l’environnement une pétition pour demander la  révision de l’évaluation de l’ensemble des PGM, autorisées et en  cours d’autorisation. Une demande restée sans réponse à ce jour, du moins pour les 46 OGM autorisés en Europe.
 
 
 
 
 

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